PROJET DE LOI 8 : VERS LA FIN DE LA DISTINCTION AVOCAT/NOTAIRE?

Février 2023

PROJET DE LOI 8 : VERS LA FIN DE LA DISTINCTION AVOCAT/NOTAIRE?

Depuis des mois, voire des années, l’état de système de justice québécois se dégrade. Sa lourdeur, sa lenteur, son archaïsme à plusieurs égards et le manque de personnel qui l’affecte, comme dans tous les secteurs, sont dénoncés par les citoyens qui doivent recourir au système judiciaire, par la magistrature, par les avocats et par les médias.

Le gouvernement, interpellé de toutes parts, a déposé la semaine dernière le Projet de loi 8 visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice. L’APAAQ accueille positivement la volonté des élus d’agir.

Nous saluons certaines solutions mises de l’avant par ce projet de loi, notamment l’idée de recourir à l’arbitrage dans les dossiers de petites créances.

Cependant, ce même projet de loi propose des solutions qui, malheureusement, sont de nature à dégrader davantage la qualité des services judiciaires auxquels les citoyens ont droit.

Il en est ainsi de la proposition du ministre de la Justice de vouloir imposer une conférence de règlement à l’amiable pour tous les dossiers introduits devant la cour des petites créances, ainsi que la médiation obligatoire pour plusieurs. Faut-il rappeler au ministre que le principe de base sur lequel repose le recours aux modes privés de prévention et de règlement des différends est son caractère libre et volontaire? Cela est d’ailleurs expressément reconnu au Code de procédure civile, notamment aux articles 1 et 2. Comment peut-on croire que d’imposer le recours à la médiation aux justiciables qui s’y refusent, ou qui présentent des contre-indications, entraînera des résultats positifs? Comment les médiateurs feront-ils pour bien faire leur travail et tenter de concilier deux parties qui n’ont aucune volonté de collaborer et de faire des concessions? Par ailleurs, certains dossiers se prêtent difficilement à la médiation. Comment imposer un processus dans des situations inappropriées, impliquant notamment une victime ou une personne vulnérable psychologiquement? Le résultat d’une telle démarche sera d’alourdir encore le processus permettant d’avoir un accès à un juge et d’allonger les délais.

Qu’en est-il des honoraires versés aux médiateurs actuellement? À ce jour, les rares médiateurs acceptant d’oeuvrer aux petites créances reçoivent un taux horaire de 114$ et le font généralement par conviction puisqu’un tel tarif n’est pas suffisant pour couvrir les dépenses fixes du praticien (location d’un espace de travail, frais administratifs, salaire d’un-e adjoint-e, téléphone, internet, cotisations et assurance responsabilité professionnelles, formation obligatoire…) et lui permettre de gagner sa vie. Est-ce que le gouvernement a l’intention de bonifier ces tarifs? La Cour du Québec peine déjà à trouver des médiateurs intéressés actuellement.

Le projet de loi proposé par le ministre Jolin-Barrette propose également d’ouvrir l’accessibilité à la magistrature aux notaires. Le ministre justifie cette « solution » par le fait que les notaires et les avocats auraient la même formation, soit le baccalauréat en droit. À cet égard, rappelons qu’une fois le Bac terminé, nul n’est avocat ou notaire pour autant. Une formation professionnelle est obligatoire (l’école du barreau ou la maîtrise en droit notarial), lesquelles formations sont très différentes et axées sur des aspects juridiques très distincts. Or, le droit de représenter des justiciables devant les tribunaux est réservé aux avocats qui ont une formation distincte à cet égard, en plus de passer par une évaluation de leurs connaissances et de leurs compétences propres à l’exercice de la profession d’avocat.

Limiter les compétences, les qualités et l’expérience nécessaires pour devenir juge à la simple formation universitaire de premier cycle démontre une incompréhension et une méconnaissance de ce qu’implique une telle position. Pour accéder à la magistrature, l’avocat doit avoir pratiqué pendant un minimum de 10 ans. La très grande majorité des juges nommés à la Cour du Québec et à la Cour supérieure sont d’anciens avocats plaideurs, expérimentés dans les dossiers litigieux, qui maîtrisent les règles de preuve et la procédure civile. Le juge appelé à trancher des litiges et à rendre des décisions doit notamment être apte à décider sur le champ, au beau milieu d’un interrogatoire, s’il doit retenir une objection à la preuve ou la rejeter.

Notons qu’en 2022, le Barreau du Québec comptait 28 496 membres, dont 65% avait plus de 10 ans d’expérience. Il n’y a donc aucune pénurie d’excellents avocats prêts à siéger à titre de juge dès maintenant. Alors pourquoi le ministre ressent-t-il le besoin d’aller chercher de nouveaux juges parmi les notaires?

Par ailleurs, soulignons que les juges travaillant dans certaines régions du Québec sont appelés à siéger tant en matière civile qu’en matière criminelle et pénale et en protection de la jeunesse, et ce, en alternance. Un tel juge doit donc avoir les connaissances et l’expérience nécessaires pour remplir son rôle dont la fonction première est de rendre des décisions, prendre parti, régler des différends et trancher des litiges.

Le notaire qui n’a, pour ainsi dire, jamais mis les pieds dans un palais de justice devra être en mesure de faire ce travail et de rendre des décisions conformes à la jurisprudence, et ce, bien souvent face à des avocats aguerris qui, eux, maîtrisent les règles de preuve et de procédure, règles qui, doit-on le souligner, servent à s’assurer que les auditions soient équitables, que les décisions soient rendues sur la base de preuves crédibles et que la justice serve les justiciables et ne compromette pas leur confiance dans le système.

Selon le ministre, les notaires peuvent «apprendre» une fois sur le banc. Mais aux frais et sur le compte de qui ? Encore une fois, ce sera sur le compte du justiciable et du système qui deviendront des cobayes. Notre société est en droit d’exiger une justice de grande qualité, avec des juges d’expérience et de grande compétence dès leur nomination. Ces exigences sont garantes de l’efficacité du système et de la satisfaction des citoyens. Les droits judiciaires ne sont-ils pas des droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne?

À ce compte, si , selon le ministre, la formation est la même pour les avocats et les notaires, pourquoi ne pas permettre aux avocats de rédiger des actes authentiques ? En quoi sont pertinentes la distinction avocat/notaire et l’existence de ces deux ordres professionnels? Fusionnons simplement le Barreau et la Chambre des notaires!

Malheureusement, le projet de loi 8 démontre le peu de valeur accordée par la classe politique à la profession d’avocat et à toutes les avocates et tous les avocats qui, chaque jour, contribuent à maintenir en un seul morceau ce système qui s’effrite pour bientôt s’effondrer!